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Tout commence avec un cargo sur l'île de Syros, dans le port grec d'Ermoúpoli, chef-lieu des Cyclades. Et dès ce début on sait que le bateau finira sur un chantier de démolition clandestin, quelque part sur une côte déserte d'Afrique de l'Ouest. À bord, outre des matelots comme des ombres évoluant dans l'outre-tombe, se côtoient un steward, un cuistot, un chat, quelques officiers et surtout trois amis : le commandant, un peu faussaire, un peu trafiquant ; l'écrivain parano ; le tireur d'élite qui a vu de près le pouvoir et l'argent. Plus Perpétue et Jean-Fa, deux enfants dont le terrain de jeu favori est la cale vide, ou presque vide du Nauplios.
« Presque » parce que s'y trouvent quelques ballots, six conteneurs sur remorque, une voiture sous housse, une Bentley. Les ballots seront livrés en mer, transbordés sur un cargo louche après paiement en espèces et gros moment de tension. Les conteneurs quitteront le Nauplios en Afrique, et ils prendront la route vers une décharge discrète, cependant qu'un général entouré de gardes du corps viendra en personne réceptionner la Bentley.
Les cortèges sont nombreux dans le livre : « cortège funèbre » de ce « dernier voyage » du Nauplios, mais aussi un grand tour de France promotionnel organisé pour servir les intérêts de certains hommes d'affaires ambitieux, ou le cortège des colibris qui « déplaçaient avec la même vivacité gourmande dont fait preuve aussi la mémoire quand, parcourant l'immobile cortège des souvenirs, elle saute de l'un à l'autre qu'elle ranime et revisite, abandonnant celui-ci figé dans un passé ancien pour celui-là plus récent, ou remontant à un encore plus ancien, revenant à un encore plus récent puis de nouveau, etc. » Roman ludique et mélancolique sur le « roman d'aventures », Le Cortège est aussi un roman sur l'enfance, sur la mémoire et son « cortège » de souvenirs, dans une langue étonnante de précision romanesque, qui convoque autant les images du monde que celles de nos rêveries d'action, de voyage et d'évasion.
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Un savant qui renvoie son domestique trop curieux et qui finit par épouser la fille de son ancien patron. Achille et Julie - une belle brune, un beau blond. La grosse Camille qui tire les cartes, Achille en barman, le Cercle des Dames... Fernande va mourir : qui la remplacera au Conseil? et quels privilèges guignent les candidates à la succession?...
Une histoire louche, faite d'indices, d'allusions, de sous-entendus. Une histoire dont seraient lisibles surtout les empreintes et dont les à-côtés occuperaient le devant de la scène. Des lieux : Paris, Paris aujourd'hui, à peine gagné par les Tropiques, le Jardin des Plantes, une piscine, Saint-Lazare, la mosquée. Des regards, des gestes, des postures, des détails.
Et puis des amazones : leur squelette, des fouilles, un ensemble funéraire mis au jour par le père de Julie.
Une quête, une question. Les femmes. Voir, avoir, savoir les femmes. Voir et savoir seulement.
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Alors que partout ailleurs chasses à l'homme et coups d'État continuent d'avoir lieu, à Paris, rue Larrey, un homme d'action se trouve empêché d'agir. Auprès de lui, un garçonnet séparé des siens grandit, s'instruit, plonge en mer, lorgne les filles, gagne des courses de motos. Sur le trottoir une grosse dame en pantoufles promène sa chienne. Un marchand de journaux cherche une place pour sa voiture et deux mécanos se préparent pour un tour du monde en 2CV. La rue Larrey. Comme un point sur le globe et qui contiendrait le globe. Avec ses villes, ses forêts, ses océans. Avec aussi les remuements et les émois de ceux qui au jour le jour en façonnent la surface. Un voyage dans ce roman de l'immobilité forcée.
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Curieux et vertigineux roman où l'Histoire, avec sa grande H, me guide le narrateur et sert à l'occasion de conteur-conteuse. Là où elle est il va. Les paysages que de près ou de loin elle scrute - pensive puis, bras tendu, les lui désignant silencieusement du doigt avant de prendre sa respiration de raconteuse - , il les scrute à son tour. Les odeurs d'iode marine, de vase lagunaire et de terre ensoleillée qu'elle hume, idem il les hume. Les gens auxquels elle se mêle, idem il se mêle à eux. Et sans qu'il soit besoin pour ça de quitter la presqu'île de Leucate - Languedoc - , ils s'aventurent tous deux dans le monde d'autrefois (le XVI ème siècle des guerres de religion), dans le monde d'hier (celui de la France de la guerre d'Algé- rie), dans le monde d'aujourd'hui, parmi les humains affairés à leurs travaux saisonniers ainsi qu'à leurs amours et à leurs jeux, à leurs songes, à leurs parleries et à leurs conflits sanglants.
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En 2004, soit trois ans avant son suicide, Édouard Levé rapporte d'un séjour aux États-Unis la série de photos Amérique. Il s'agit, à première vue, de paysages urbains et de portraits, ceux-ci toujours frontaux, inexpressifs, ceux-là étranges en raison de leur banalité même et des noms que portent les villes photographiées : Florence, Berlin, Oxford, Delhi, Bagdad... Or à regarder de plus près cette Amérique-là on s'aperçoit que s'y trouve surtout mise en scène l'obsession prémonitoire de la mort, et qu'il s'agit en réalité d'autoportraits de l'artiste en quelqu'un d'autre, ou en décor, ou en objet, tous figés de quelque manière entre la présence et l'absence, le quelque chose et le rien.
Gérard Gavarry a pris appui sur cent de ces photos. À chacune, dont il a emprunté le titre, il a substitué trois énoncés fragmentaires, amputés de leur début comme de leur fin. Textes de la sorte serrés entre deux abîmes, par lesquels il entendait, rendant hommage à l'oeuvre source, explorer de biais cela qui non plus que le soleil - La Rochefoucauld le dit en ses Maximes - ne se peut regarder fixement.
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Le mot «échappée» signifie étroite ouverture sur un paysage. Espace libre ou vue resserrée entre les collines, les maisons. La Ville de Paris en ce sens est une série d'échappées.
Suite de scènes en extérieur. Nulle intrigue. Fragments minuscules d'une histoire privée qui se joue dans les lieux qui sont à tout le monde.
Façon de témoigner d'un usage de la ville dont CHRONIQUE, en interlude, raconte l'apprentissage.
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«Le coiffeur et l'apprenti ont transvasé l'eau d'une lessiveuse dans deux bassines en plastique. Ils ont déplié un linge et ils ont fait flamber, pour les aseptiser avant usage, les ciseaux droits et les ciseaux à effiler ainsi que le peigne métallique et la lame du rasoir lame. Puis ils ont installé une chaise au milieu du jardin car les opérations de rasage et de taille doivent s'effectuer là, dans le jardin de l'ordonnateur, entre murs jaunes et terre rouge, sur fond de lagune, de fête du mouton et de photos mortuaires.» Procédant par images agrandies et arrêtées, qui sont autant de fixations sur un passé que le présent ne cesse de hanter, ce texte évoque une Afrique déjà oubliée et pose sans relâche les questions du souvenir, du regret, des disparitions et du vide qu'elles laissent.
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«L'Explorateur cherchant Jojo, bottes de cuir aux pieds, à la main sa valise, son plan de Paris et sur la tête le casque colonial. L'Explo traqueur de signes, broussard aventuré parmi les pièges du macadam ou revenu dare-dare cogiter dans sa chambre, à l'Hôtel Nessus et du café Mimile. En butte aux attentions autant qu'au dépit de Madame Othello. Talonné par un tueur à fléchettes. Vampé par une belle divinatrice. L'Explo cherchant Jojo et parfois, en cachette, chuchotant son nom : Jojo !» Un personnage, un curieux explorateur, muni de l'attirail ad hoc, cherche à travers Paris un mystérieux Jojo, Jojo dont tout visiblement dépend, que tout le monde a vu, ou pourrait voir... L'Explorateur, le lecteur et quelques autres iront, en riant, au-devant de leur destin.
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Il arrive que passent, dans vos banlieues, de grands beaux jeunes gens et qu'ils soient la violence incarnée, ou le Refus, ou la Revanche, ou la Démence en marche. De gel en feu qui saisit leurs entrailles et dont leur imagination brûle, de filles en femmes, de bitume en gadoue ils vont, tantôt hilares, tantôt sombres, muets le plus souvent, butés ; ou s'ils parlent, de crainte que leur voix ne se perde dans l'ampleur du ciel ils crient, lacérant votre espace d'y lancer, comme autant de tranchants coups de lame, des mots qui sont des mots à eux et empruntent tour à tour au faste élancement du cocotier, au bercement du cargo, à la douceur, à la douleur et à la sauvagerie du Centaure.
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«Qu'est-ce qu'un roman? Où commence le style? Et pourquoi écrire?... Façon d'un roman ne pose pas ces questions. Il dit en revanche les usages multiples que l'on fait du fruit et de la palme du cocotier, le sentiment qu'en haute mer on conserve de la terre absente, l'encombrement que, Centaure, on éprouve de l'idée de femme autant que de son propre corps chevalin. Ainsi le programme du sous-titre s'y réalise-t-il à la lettre : comment d'après le Livre de Judith j'ai inventé une histoire de banlieue, et à l'aide du cocotier, du cargo, du Centaure, écrit trois fois Hop là!»
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Cent fois, JE dit ici quelle fut l'approche par lui de TU et ce qui s'ensuivit de coïts, d'accès de jalousie, de brutalités, de dénouements cruels...
Où l'on reconnaîtra la force élémentaire qui, toujours nous tenant, inlassablement aussi nous émeut, nous autres les sexués.