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Arts de l'image
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L'idée originelle d'une réflexion sur la place et l'image de l'animal au cinéma est venue de
la découverte de Béliers, film du cinéaste islandais Grimur Hakonarson. À travers l'histoi- re de deux frères ennemis, flanqués chacun de son bélier, s'établissait une relation troublante entre hommes et moutons, que le
roman de Noëlle Revaz, Rapport aux bêtes, évoque bien.
C'est ce rapport que le livre décline vingt-deux fois en consacrant chaque chapitre à un animal différent. La forme abécédaire est celle qui convenait le mieux pour la clarté du propos.
Cette série a été entamée dans Trafic et poursuivie à raison d'une publication par trimestre jusqu'à la récente disparition de la revue. Le désir de poursuivre ce travail a fait naître le projet du livre. C'était aussi l'occasion d'augmenter le nombre d'entrées afin de mieux faire apparaître le dessein général.
Il existe des ouvrages consacrés aux animaux filmés, mais ils concernent plutôt les documentaires animaliers. Ici, le documentaire n'est pas congédié, mais il est minoritaire en regard de la fiction.
Le grand nombre de films convoqués aurait rendu pléthorique et arbitraire l'introduction de photogrammes. Le choix d'illustrations graphiques obéit à la fois à un besoin de simplification et à l'envie de décaler la relation animal-film par l'élément tiers que forment ces collages -
Muette présence dès les origines du cinématographe - vues de Lumière ou films de Méliès - et dans les premières épopées historiques de Cecil B. DeMille, Jeanne a failli parler français avec Dreyer dans ce qui aurait été le premier film parlant. Mais ce furent les nazis qui lui volèrent sa parole, avant qu'Hollywood s'empare de sa légende guerrière, où Rossellini l'emporta en Italie dans un tourbillon de lumière. Preminger d'abord, Bresson qui lui donna enfin ses mots dans sa langue, fondèrent les insolences du nouveau cinéma européen. Alors Jeanne devient le passage obligé des auteurs modernes, que ce soit le soviétique Panfilov, ou les français Alain Cavalier, Jacques Rivette, Marcel Hanoun et Bruno Dumont. Jeanne d'Arc à l'écran, c'est-à-dire l'histoire et la légende de tout notre cinéma.
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Comment tourner autour du pot ? Trône souillé, les toilettes offrent aux cinéastes un objet par trop infâme pour ne pas le regarder sans cligner des yeux. Cela explique sa durable absence des écrans : réellement entrée au cinéma avec Psychose d'Alfred Hitchcock, en 1960, la cuvette continue d'en meubler des coins rarement filmés, et alors avec cérémonie.
Ce livre suit l'histoire de cet attrait contrarié. Anthologie plombière, il recense quelques dizaines de sièges ou de fosses d'où émanent des signes maudits et les relents d'une terreur archaïque qu'aucune transgression ne peut vraiment dompter. De la tentative de banalisation entreprise par Stanley Kubrick à l'euphorie de l'égout entretenue par Quentin Tarantino ou Robert Rodriguez ; de la place que la comédie américaine a réservé aux lieux saints au théâtre sexuel en quoi les transforment les comédies queer, de la sublimation spéculative d'Une sale histoire de Jean Eustache à l'avilissement fécal d'Il est difficile d'être un dieu d'Alexeï Guerman, ces pages couvrent assez de trous pour hasarder quelques hypothèses sur ce que de tels regards torves disent de notre modernité hygiéniste. Car si l'on a souvent pointé la contemporanéité de l'invention des frères Lumière avec la psychanalyse, la radio, les rayons X ou les aquariums, on s'est rarement penché sur sa communauté de berceau avec le tout-à-l'égout, pierre de touche de la révolution sanitaire ayant abouti aux disciplines fécales des siècles industriels. Une telle concomittance pousse l'auteur à croire qu'il peut faire un observatoire de ce sanctuaire tombal, parce que, fosse commune des vanités privées, les béances tuyautières éclairent de leur malédiction deux phénomènes au fondement de ce qui fut l'ordre bourgeois : le sacre de l'individu et la croyance en une maîtrise sans reste de l'environnement. Ce refuge où chaque sujet se dérobe aux regards pour liquider ses reliquats conditionne l'apparition des prométhées démocratiques du vingtième siècle. C'est du moins ce que laisse songer la contemplation du monde à travers la lunette telle qu'on la trouve chez Tsaï Ming-liang, Jean-Luc Godard, David Cronenberg ou Alain Cavalier, qui en font autant le dernier bastion d'un cinéma digérant son passé que le seul isoloir qui vaille pour les derniers des hommes. Avec eux et d'autres, le livre s'efforce de jeter les bases d'une scatocritique transformant en indices de fèces tous les détours propres à l'esthétique excrémentielle, où les toilettes signifient le fécal en lui faisant écran. Par là, et non sans audace dans ses raccourcis, il entend montrer que le sort figuratif réservé au trône dit quelque chose de l'hygiénisme aux commandes de bien des politiques écologiques actuelles, parce que dans la cuvette se cristallise le mythe de la suppression de l'incompressible à la racine du refoulement des externalités industrielles. Pour le dire en un langage empruntant sa forme à sa matière, les chiottes nous disent dans quelle merde nous sommes. -
PAYSAGES : L'arythmie du temps
Babis Kandilaptis, Eugène Savitzkaya
- Yellow Now
- 15 Janvier 2025
- 9782873405076
Le paysage, cette permanence, m'accompagne depuis mes premiers des- sins, en 1981. dessiner un paysage à terpillos, c'était pendant le séjour au village, quand je rendais visite à ma famille pour les vacances d'été.
La pratique du dessin du paysage survient et s'impose en moi périodique- ment, sans aucun a priori, ni but précis, toujours renouvelée à des moments et dans des contextes variés. avec le temps, cette pratique a pris une forme particulière pendant chaque séjour en Grèce, comme une activité d'été, une sorte « d'activité saisonnière », irrégulière, une pratique arythmique. Oui, une arythmie du temps, provoquée, déterminée, aussi, par chaleur du soleil, la lumière, l'ombre d'un arbre, la sieste. Faire quelque chose pour remplir le vide qui s'installe doucement, faire face à l'ennui qui commence à se manifester, faire quelque chose et se mettre
à l'abri du réel pour résister au « rythme parfait » du temps.
Le paysage est, en grec, un topio et un topos, un lieu. ainsi cette présence, cette permanence, ne sont pas seulement celles des paysages, mais aussi celles des lieux, connus, vécus pendant de nombreuses années et à des moments différents. une unité géographique présentant des carac- téristiques physiques et sensibles communes. une « topo-graphie » sensible, physique. Babis Kandilaptis.
Être dans les paysages est comme être au berceau de la pensée multiforme et infinie que modifie la lumière. Ce livre, conçu dans l'espace ter- restre qui relie deux amis qui veulent s'accorder, pourrait se présenter comme un arpentage méticuleux d'une infime parcelle d'un globe à la fois familier et insolite, le lieu des phénomènes. eugène savitzkaya. -
Deux séjours à Berlin, en été puis en automne, vont sensiblement changer l'existence de Bernart, un professeur des collèges nouvellement à la retraite. Peu préparé, il appréhende avec inquiétude cette nouvelle vie. Le premier voyage s'organise autour des souvenirs de quelques jours passés en RDA, alors qu'il n'était encore qu'un adolescent. à Berlin, il cherche les traces de sa jeunesse, les traces d'un Berlin qu'il n'a en réalité pas connu, celles d'une histoire qui est la sienne sans pour autant lui appartenir, l'histoire d'une ville détruite puis séparée en deux. Ordonnant ses notes et ses photos, il comprend progressivement combien les films de Wenders font partie de sa vie. Il se met alors en tête de repartir à Berlin, d'y retrouver les lieux de tournage des deux principaux films que le cinéaste y a réalisés, Les Ailes du désir et Si loin, si proche !. Troisième volet d'une trilogie des villes et des lieux, après Antonioni / Ferrare et Jean-Pierre et Luc Dardenne / Seraing,Wenders / Berlin tente de répondre à deux questions : comment écrire autrement sur le cinéma ? Comment associer la vie et le cinéma dans un même mouvement ? Plutôt que de s'appuyer sur des films, Thierry Roche part de la ville elle-même et des lieux de tournage pour tenter de comprendre comment des histoires inventées trouvent à s'inscrire dans la réalité du paysage. L'hypothèse est que la vie et le cinéma, c'est la même chose. Le recours à un personnage de fiction est comme un point d'aboutissement, montrant l'intrication entre la vie et le cinéma, entre la réalité et nos imaginaires. De ce point de vue, ce livre est, à la lettre, un essai. Le travail de Guy Jungblut fait totalement partie du projet. Son regard sur la ville a guidé le texte. Les photos sont le plus souvent le moteur de la narration ; d'autres épousent le texte, dans un dialogue incessant et fructueux.
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La figure du ventriloque accompagné de sa marionnette sur les genoux est contemporaine de l'invention du cinéma. Simple coïncidence ? Son art, remarquons-le, s'inscrit dans l'histoire des médias techniques qui ont dissocié le corps de la voix, qu'il s'agisse du phonographe ou du téléphone, actualisant les puissances de la voix acousmatique. Curieusement le ventriloque apparaît à l'écran dès l'âge du muet en jouant sur le registre de l'étonnement et de l'inquiétude par des effets de dissociation et de dédoublement. Nombreux sont les films qui explorent sa personnalité insolite, ambivalente, en proie au larcin, à la simulation, au désordre psychique.
Au-delà de la présence littérale du ventriloque, on peut observer un usage plus métaphorique de la ventriloquie dans les effets fantastiques de la voix dissociée, le rôle du bonimenteur ou du traducteur, le contrepoint du visuel et du sonore. Autant de stratégies qui permettent, en dénudant le procédé cinématographique, en renversant le principe d'autorité, de donner à entendre des voix dissidentes.
Sans doute la ventriloquie trouble-t-elle l'opposition par trop schématique de la lettre et de la métaphore au gré de ses jeux de symétrie et de réversibilité. Qui est le ventriloque de qui ? Le critique est-il le ventriloque du film, ou l'inverse ? Ne sommes-nous pas devenus désormais les ventriloques de l'histoire du cinéma ?
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Menjant garotes [en mangeant des oursins] de Luis Bunuel
Jordi Xifra
- Yellow Now
- Cote Films
- 20 Octobre 2023
- 9782873405014
Quatre minutes et treize plans seulement - sans paroles, sans intertitres ni le moindre son - composent Menjant Garotes (En mangeant des oursins), cet inédit de Luis Buñuel réalisé en 1930, pendant le tournage de L'Âge d'or, et retrouvé dans une boîte à biscuits, en 1988, après avoir passé soixante ans dans un placard. Portrait documentaire discrètement ironique du père de Salvador Dalí, notable de province, et de son épouse, filmés dans leur demeure cossue dominant la plage du Llané, à Cadaqués, cet étrange objet f ilmique, manifestement inspiré par le naturalisme du Kammerspiel allemand, présente à première vue toutes les caractéristiques du film de famille, voire d'un home movie amateur. De fait, devant l'évidente platitude d'un quotidien aisé et l'insignifiante répétition des gestes familiers - faire tourner le phonographe, lire au salon, bercés par un rocking-chair, arroser les plantes, déjeuner au jardin - de ce très court métrage, si peu spectaculaire, il n'y aurait en apparence rien à signaler et encore moins à raconter. Telle est bien la prouesse de ce petit essai érudit, en forme d'archéologie d'un film fossile, celle de nous tenir en haleine jusqu'au bout, comme on lirait une enquête policière. Jordi Xifra y démontre que loin d'être un accident, voire une anomalie, Menjant Garotes s'inscrit rigoureusement dans l'oeuvre du cinéaste au point d'apparaître comme la matrice de tous ses films à venir, scrutant ce couple de grands bourgeois à la manière d'un entomologiste comme il aurait aimé filmer les scorpions. Entre autres documents, l'ouvrage propose au lecteur un lien lui permettant à son tour de découvrir ce film insolite
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Passe montagne de Jean-François Stevenin
Pierre Jailloux
- Yellow Now
- Cote Films
- 7 Avril 2023
- 9782873404956
C'est l'histoire d'un citadin qui tombe en rade dans un coin paumé du Jura, se fait dépanner par un gars du cru, passe une première nuit dans sa grange, y croise des mines patibulaires sans comprendre ce qu'elles racontent, y déambule de fond en comble, finit par ne plus trop savoir ce qu'il fait là, improvise des repas arrosés avec son hôte, bavarde parfois et souvent se tait, commence à entendre parler de combe magique et d'oiseau en bois dans la forêt, se laisse embringuer par son nouveau copain dans la neige, se fait embarquer dans des bars clandestins et une auberge qui ne ferment jamais l'oeil de la nuit, y écoute un chien qui chante, y flirte avec des dames, s'y engueule avec des montagnards, étudie des cartes, enterre une vie de garçon, puis finit par s'en aller au petit matin, après avoir mis sa vie et celle du spectateur en pointillés. Cet ouvrage se propose non pas de combler les trous du gruyère, ni de redresser la barre d'un film irrésistiblement biscornu, mais de se lover dans ses parenthèses, de sauter à cloche-pied sur ses points de suspension et ses plans, et de se laisser dériver avec lui, sans jamais espérer atteindre aucun récif. Suivons Jean-François Stévenin et sa bande, son monteur et complice Yann Dedet en tête, dans leurs échap-pées enfantines et barbares, leur labeur et leur paresse, leurs images baladeuses et leurs découpages fleuris.En complément de cette essai tout en rebonds et ricochets, on trouvera un portrait vibrant de l'acteur Jacques Villeret par le critique Jean-Marie Samocki.
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Dès l'origine, avec ses images sautillantes et sa musique de bastringue, le cinéma
nous parle des fantômes. Il y a bien sûr le cinéma de genre : on aime se faire peur
dans les salles obscures. Mais au-delà des films dits de fantômes, c'est toute la production
cinématographique qui entretient avec les spectres une relation de profonde
intimité. Être sans substance, sans densité, sans épaisseur, bref sans matière,
le fantôme n'est pas, il apparaît, ou mieux il n'est qu'apparition. Or l'art cinématographique
est, lui aussi, pure apparition. C'est vrai de l'image fixe (la peinture ou
la photographie), mais lorsque l'image s'anime imprimant le mouvement à ce qui
n'a que l'apparence et la forme de la vie et du réel, c'est toute l'énigme du mortvivant
qui nous saute aux yeux. On a cru qu'après Descartes, après le siècle des
Lumières, la Raison avait définitivement triomphé des créatures de la nuit. Mais on
les a vus ressurgir, là où on les attendait le moins, avec les techniques de reproduction
qui rappellent les morts à la vie, avec la transmission à distance qui
détache de l'être réel son double spectral. Le cinéma a été, par excellence, le fourrier
de ce retour du refoulé. Il n'est jamais aussi grand que lorsqu'il réfléchit cet
étrange pouvoir démiurgique. -
Lire / écrire
Bernard Plossu, Bernard Noël
- Yellow Now
- Cote Photo - Images
- 15 Mars 2019
- 9782873404420
Cet ouvrage s'inscrit dans la collection Les carnets, une collection - mise au point avec Bernard Plossu - qui se propose de revisiter les archives d'un photographe ou d'un collectionneur et d'en extraire des séries thématiques (des faits, des objets, des situations, des évocations...).
Bernard Plossu a extrait de ses archives des images montrant des lecteurs ou des lectrices - au Mexique en 1966, en Inde en 1989 ou à Paris en 2017 - en train, en rue (souvent) ou au lit (parfois) ; des écrivains au travail - Perec, Butor, Bailly ou Noël ; des librairies et des bibliothèques - à Palerme, à Berkeley ou à Delhi ;
Des hiéroglyphes et des graffitis - en Égypte ou à Toulon. Pour notre plus grand bonheur de lecteur.
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Jean-Pierre et Luc Dardenne, Seraing
Thierry Roche, Guy Jungblut
- Yellow Now
- 5 Mars 2021
- 9782873404666
Ce livre s'inscrit dans une continuité. Un précédent volume, Antonioni / Ferrare, interrogeait une ville et un mode d'écriture. Il s'agissait d'écrire sur le cinéma d'Antonioni et sur la ville de Ferrare qui, c'était une hypothèse, a construit son regard, et d'expérimenter par ailleurs un mode d'écriture à la lisière de la fiction.
Réfléchir à l'urbain et tenter de trouver une écriture « juste » pour parler des films reste le moteur de ce nouveau projet.
La ville de Seraing sert d'écrin à presque tous les films réalisés par les frères Dardenne.
L'hypothèse, cette fois, est qu'en travaillant sur la durée et en inscrivant leurs films dans un environnement social précis, en accordant une place déterminante au travail et à ses variantes dans le temps, Jean-Pierre et Luc Dardenne ont contribué à définir un paysage.
La construction de l'ouvrage repose sur trois séjours successifs à Seraing en compagnie de Guy Jungblut, à nouveau sollicité pour les photos qui encadrent l'écrit. Ces photos n'ont pas le statut de simples illustrations. Les séquences photographiques constituent un regard autonome sur la ville, ses particularités et ses failles. À plusieurs reprises, elles ont relancé le travail d'écriture qui parfois s'épuisait entre descriptions vaines et réflexions sociologisantes déconnectées du terrain.
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Le flou, dans son acception commune, est d'abord le signe d'une déficience, un manque de définition. Aussi le langage cinématographique, dans ce qu'il a de plus convenu, nous a-t-il habitués à considérer le passage du flou au net comme une forme d'actualisation : la forme floue, l'image bougée, sont de simples substrats de l'image nette et stable dans laquelle elles s'accomplissent et se stabilisent, en atteignant, dans l'idéal, la précision de contours et de détails propre à la HD.
Tout semble pourtant prédisposer l'image de cinéma au flou : captée et perçue dans la durée, soumise aux variations de la lumière et du mouvement, elle est aussi sujette à toutes sortes de métamorphoses optiques et chimiques qui déclinent à l'infini la palette du vague, du brumeux, du filé.
Entre évanescence et opacité, le flou tantôt tire l'image vers l'immatériel (c'est pourquoi le fantôme hante volontiers les zones floues de l'image) ou vers la matière (vers le pictural). Il est sensation, translation de la vitesse ou des mouvements du corps à l'image, glissement de la vision vers le toucher, perception du chaos extérieur. Mais il est aussi aussi manifestation de l'image mentale, du rêve, de la réminiscence. Le flou inscrit enfin l'image de film dans un champ artistique ouvert : flou d'ensemble, il brouille la frontière entre cinéma et peinture ; flou d'apparition (de mise au point), il renvoie le cinéma à ses origines photographiques, argentiques - à l'émergence progressive de l'image sous l'effet du révélateur - et à l'orchestration du désir de voir.
Dans la mesure où elle exclut toutes les formes irréalisées de l'image floue, l'image nette n'en est-elle pas, au bout du compte, une version appauvrie ?
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Née en 1957 à Toulouse, Françoise Nuñez est d'origine espagnole. Elle a commencé à photographier en 1975. Elle apprend le tirage noir et blanc dans l'atelier de Jean Dieuzaide dont elle est l'assistante entre 1979 et 1980. Elle épouse Bernard Plossu en 1986 et, depuis, en plus de son travail personnel, elle réalise une part importante de ses tirages. C'est une photographe voyageuse : l'Inde, l'éthiopie, l'Amérique du Sud, le Japon ... « Je ne photographie pratiquement qu'en voyage. Quand je pars, je ne pense qu'à ça. Je veux être réceptive à tout, loin d'un quotidien et d'endroits que je connais trop bien. J'aime l'inattendu, la surprise, l'émotion de la découverte. Et j'essaye de faire ressentir toutes ces émotions. » « L'Inde, Françoise y avait pris goût, au point d'y retourner souvent, pour continuer à la photographier, du Nord au Sud, à Calcutta et à Madras. [...] Son dernier voyage, en 2009, a été pour les ruines de Hampi, qu'elle rêvait de voir, tellement on nous en avait parlé. Voici les photographies inédites de ces nombreuses ruines perdues dans un espace gigantesque, où elle a fait des merveilles, marchant avec sa soeur Isabelle, calmement, avec son objectif de 50 mm. Tout simplement. » nous dit Bernard Plossu dans sa préface. En décembre 2021, Françoise Nunez nous quittait. Ce petit livre, le troisième de Françoise publié par nos soins, lui rend hommage.
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Nicolas Kozakis et Raoul Vaneigem se sont rencontrés en 2000 à l'Academia Belgica à Rome. De 2012 à 2022 ils ont collaboré, l'un par l'image, l'autre par l'écriture, à une série de films où le flux contemplatif des séquences vidéo en noir et blanc de l'artiste se superpose aux textes du philosophe et écrivain, formant ensemble un plaidoyer, à la fois poétique et critique pour repenser le monde loin de ses impasses actuelles. Les images proviennent de paysages grecs impressionnants mais aussi banals, tandis que les textes parlent des difficultés et des défis auxquels l'humanité est actuellement confrontée, des effets du capitalisme agressif et des inégalités économiques et sociales croissantes aux problèmes environnementaux et aux préoccupations existentielles liées aux angoisses contemporaines. Ensemble, les films révèlent la nécessité de contourner les limites de notre quotidien frénétique en ralentissant et en redécouvrant l'homme en être humain. Films et écrits ont été conçus sans concertation, si ce n'est le choix préalable d'un thème ; ainsi ont été réalisés Un moment d'éternité dans le passage du temps, Notre existence est un labyrinthe, Qu'en est-il de notre vie ?, Un grain de poésie dans un désert de sable, Femme, Lettre à mes enfants et aux enfants du monde à venir, Terre libre, Déclaration universelle des droits de l'être humain, Le Souffle de la vie et Vivre. Ce qui en ressort est à la fois le bilan de dix ans d'évolution historique et la constance d'un projet radicalement hostile à l'emprise dévastatrice du Profit. Si le spectateur et le lecteur en tirent une vision personnelle et résilient ainsi leur rôle dans le spectacle de la contemplation, ils y auront gagné un peu de ce plaisir d'être à soi sans avoir de compte à rendre à personne. Depuis 2012, les films ont été montrés dans divers lieux où se montre l'art contemporain : Biennale d'art contemporain de Moscou, Wiels/Bruxelles, Kunsthalle/Vienne, Biennale d'art contemporain de Thessalonique, Manifesta/Genk, De Markten/Bruxelles, etc. Par ses choix d'images (des photogrammes) et la publication de la totalité des textes, ce livre constitue en quelque sorte le souvenir des dix années de collaboration entre les deux artistes.
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L'attraction du cinéma pour la Lune s'exerce depuis la fin du XIXe siècle jusqu'à l'époque la plus récente qui voit de nombreux films prendre très au sérieux les projets d'installations de bases lunaires. La Lune dessine en effet les frontières d'un territoire cinématographique.
La Lune est affaire de regard : elle est ce point lumineux qui perce l'obscurité du ciel, cet oil capricieux qui préfigure les dispositifs de vision, au premier chef la projection, qui s'est très vite invitée dans la représentation.
La Lune est une combinaison d'espace et de temps, tous deux portés à un extrê-me : promesse d'un espace infini et d'un temps en éternel recommencement, elle est devenue le lieu d'une conquête du rêve par la réalité. Cette conquête a laissé des traces, que les films s'approprient. Un jour de l'année 1969, des hommes mar-chent sur la Lune et filment ce qu'ils voient. Ce film inouï, retransmis en direct par la télévision, hante l'Histoire tout autant que les fictions.
Si les frontières tracées par la Lune sont poreuses entre les arts, entre les consi-dérations esthétiques et les problèmes scientifiques, entre les enjeux politiques et les questions anthropologiques, le cinéma invente des figures à ces glissements et des modes de perceptions à ces figures. Les quatre parties qui composent ce livre s'intéressent chacune à un problème de cinéma, posé par les films qui représen-tent la Lune : la projection ; la non-coïncidence des durées ; la sidération visuelle ; la modernité mythologique.
Après l'année 1972, les hommes ne sont pas retournés sur la Lune qui reste un terrain d'incertitude. En cinéma, la Lune est au contraire l'espace de très prolixes explorations visuelles que les films visitent sans cesse.
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Meurtre d'un bookmaker chinois de John Cassavetes
Gilles Mouëllic
- Yellow Now
- Cote Films
- 19 Mai 2017
- 9782873404055
Cosmo Vitelli (Ben Gazzara), patron d'une boîte de strip-tease à Los Angeles, est contraint par la mafia locale de tuer un bookmaker chinois pour rembourser une dette de jeu. Si ce bref résumé ne semble guère répondre aux préoccupations de John Cassavetes, le projet de Meurtre d'un bookmaker chinois (1976-1978) n'est pourtant pas si éloigné de Une femme sous influence, qu'il vient d'achever, et surtout de Opening Night (1978), son film suivant. Cassavetes s'approprie les codes du film noir et plus souterrainement ceux de la comédie musicale pour dessiner un portrait bouleversant d'un homme seul, acculé à accepter un terrible marché pour, croit-il, conserver sa liberté. Nombre d'exégètes ont vu dans Cosmo Vitelli un autoportrait de Cassavetes confronté aux exigences des producteurs hollywoodiens. Cette séduisante hypothèse masque peut-être son véritable dessein : une mise à l'épreuve de la frontière entre la vie et la scène, déjà effective dans Too Late Blues (1961) et qui trouvera une forme d'aboutissement avec Myrtle Gordon (Gena Rowlands), l'héroïne de Opening Night. Cosmo et Myrtle sont les deux faces d'une même médaille : le premier veut vivre sa vie comme un spectacle, la seconde ne peut jouer sur scène autre chose que sa propre vie.
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Agent X27 de Joseph von Sternberg
Gaël Lepingle
- Yellow Now
- Cote Films
- 12 Septembre 2018
- 9782873404277
Agent X27 (1931) est le troisième des sept films que Joseph von Sternberg tourne avec Marlene Dietrich. Avec ce récit d'espionnage inspiré de Mata Hari et situé dans sa Vienne natale, il va trouver le sujet parfait pour accomplir son cinéma fondé sur le simulacre. Agent X27 tiendra à la fois du suspense de bande-dessinée, du ping-pong vaudevillesque et du mélo brechtien, l'enchevêtrement des émo - tions le disputant à celui des niveaux d'énonciation pour aboutir à cette limpidité suprême : un grand film romanesque et moral, où la dignité est érigée en valeur absolue.
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Le cinéma a été inventé à la fin du siècle d'Alexandre Dumas, de Balzac et de Jules Verne ; très vite, il fut prêt à prendre la relève de toutes les formes de littérature, de l'invention de mondes possibles à l'histoire des choses advenues, en passant par l'exploration du monde réel et celle des sentiments humains. C'est ce qu'un lieu commun de l'histoire du cinéma a résumé par le partage entre une voie Lumière, réaliste et terre-à-terre, et une voie Méliès, imaginative et fantaisiste. C'est oublier que le cinéma a été aussi, à sa naissance, l'exact contemporain de l'homme invisible et de l'inconscient freudien, et qu'il allait être bientôt celui de la relativité et du surréalisme. Armé d'entrée de jeu pour la capture automate des apparences et pour la fabrication de mondes merveilleux, le cinématographe se découvrit de plus en plus attiré par cet équivoque mais séduisant moyen terme entre réalité et fantaisie : l'illusion. Il existe en cinéma tous les degrés de l'illusoire, depuis les plus simples (des vessies prises pour des lanternes). On s'est ici surtout intéressé à des constructions plus élaborées, jouant des prédispositions de l'esprit humain à se laisser entraîner dans l'irréel (par le rêve, le fantasme, l'hallucination et autres illusions matérielles), mais aussi, mettant en évidence qu'au fond, l'illusion n'est qu'une fiction qui se serait donné davantage de moyens pour convaincre son destinataire, lui souffler de faire un peu plus semblant de croire qu'il croit - et parfois, l'entraîner véritablement jusqu'au point où il ne sait plus où il en est.
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Depuis 20 ans, le cinéma chinois connaît un développement foudroyant, en phase avec l'essor de ce pays. Nul n'incarne mieux cette évolution que le réalisateur Jia Zhang-ke, révélé en 1999 avec son premier film, Xiao-wu artisan pickpocket. Son cinéma se distingue par la modernité de son écriture, nourrie par la réinvention des rapports entre fiction et documentaire, par les usages inventifs des nouvelles technologies, par la créativité des relations entre l'intime et le collectif à l'échelle d'un pays d'un milliard et demi d'habitants.
Les films de Jia sont en effet, et du même mouvement, oeuvres d'un grand artiste contemporain et témoignages sensibles des gigantesques mutations qui affectent la Chine, et le monde entier. Des titres tels que Platform, The World, Still Life, A Touch of Sin et Mountains May Depart jalonnent un parcours esthétique à la fois extrêmement cohérent et en constant renouvellement. Ils accompagnent la construction patiente d'une place centrale dans la culture de son pays malgré les immenses obstacles liés à la censure.
Et ils racontent, selon un point de vue original et pertinent, ce qui s'invente avec le XXIe siècle. Un long entretien mené avec le réalisateur sur les lieux de son enfance, ces lieux de travail et de tournage, un texte historique établissant la place de Jia dans le cinéma chinois et dans le cinéma actuel, une notice critique consacrée à chacun de ses films, longs et courts métrages, enrichis de plusieurs éclairages dont des entretiens avec ses principaux collaborateurs, et des textes de Jia inédits hors de Chine, font de ce livre le premier ouvrage offrant une visibilité et une compréhension exhaustive de l'oeuvre de ce cinéaste, et de son importance majeure.
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Les mots du roman, les espaces et les temps du livre laissent loisir au lecteur de postuler à son rythme l'intériorité des êtres et la vie secrète des choses et des paysages. Mais le cinéma n'ouvre à l'impalpable et à l'invisible que par des corps d'acteurs dans un monde construit par des machines optiques et leurs servants, pour les contraintes d'une séance. C'est de son impureté même que, dans l'éphémère retrait d'un lieu profane et la durée d'une représentation, il tire son irremplaçable puissance à illuminer et animer autrement tous les autres arts. Les peintres y deviennent chorégraphes et les musiciens sculpteurs du temps.
L'hypothèse de L'humanité est dans son titre : l'humanité minuscule aux prises dès l'origine du monde avec le mal, mais armée de ses invincibles petites bontés. Mieux qu'un générique, ses cinq premières minutes déterminent son engendrement. J'arrive, dit-il. Rédigés par Bruno Dumont, son synopsis en ouverture du livre et ses notes de tournage, confiants dans la force des mots -
La fête foraine, qui a en partie déserté la vie, hante le cinéma. Il est né en son sein alors qu'elle se modernise au crépuscule du XIXe siècle. Cette parenté indique un désir commun : exciter la vue et façonner une expérience du mouvement et de l'extraordinaire, faire de ce que l'on voit ce que l'on vit. Dès lors, quand elle surgit dans le film, que fait la fête foraine au cinéma ? Pour élucider cette question et cerner cette intime relation, le livre revient aux années vingt, de Coeur fidèle d'Epstein à L'Aurore de Murnau. Il propose de regarder ensemble Entr'acte de René Clair et Anticipation of the Night de Stan Brakhage, de faire tenir ensemble Borzage et Ophuls, Bresson et Demy, Minnelli et Fuller, Welles et Hitchcock dont L'Inconnu du Nord-Express, comme on tourne sur un carrousel, revient régulièrement. Le cinéma s'invente depuis les attractions mécaniques : elles lui apprennent à tourner et révèlent une relation des cinéastes à leur art, une possibilité d'improvisation ou de machination. Certains trouvent dans leur rythme et leur narration un lieu puissant de figuration du désastre et de l'extase, de la réunion et de la désunion des corps. D'autres, parce que le cinéma et la fête foraine partagent un même plaisir du simulacre, mesurent la fiction aux histoires que suscite la foire. Si le cinéma apparaît comme le frère siamois de la fête foraine, il s'y frotte aussi à ses limites : parce qu'elle est avant tout un renversement, la fête foraine est une force qui déforme le film, l'excède et se joue de lui. Elle le réfléchit, dans un miroir déformant.
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À propos de son film Lancelot du Lac, Robert Bresson déclarait que c'était « l'aventure intérieure, très particulière, de Lancelot qui [l]'avait frappé, en combinaison avec la violence et le sang versé pendant la quête. » La combinatoire à l'oeuvre assemble et organise des phénomènes où la violence et le sang, justement, concourent à une même visée. Cette ligne de mire met en scène une série de figures.
Guenièvre, Gauvain, Artus, Mordred distribuent les cartes pour un jeu dont Lancelot est l'atout. Et son aventure intérieure si particulière se joue sur l'échiquier où le cheval est roi et la dame à coeur.
Quand le récit commence, tout est fini. Entre le sang versé en incipit et les corps effondrés du finale, la chevalerie fait grand bruit et parcourt toutes les couleurs de l'arc-en-ciel. Mieux qu'aucun autre film de Bresson, Lancelot du Lac blasonne le cinématographe d'un obscur éclat, celui, peut-être, des amours interdites.
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